Vers l’âge de douze ans, Serge Beauchemin reçoit une grosse enregistreuse qui l’accompagnera partout. Avec Claude son frère jumeau, qui deviendra également preneur de son, il se lance dans une quête sonore. Comme un signe du destin, la prise de son venait à lui. Originaire de Montréal, Serge se destine au métier d’enseignant. Il occupe l’été de sa dernière année d’étude à travailler à l’ONF où il nettoie les laboratoires. C’est à ce moment qu’il rencontre Pierre Patry qui lui offre son premier poste comme perchiste sur le film La corde au cou (1965). Alors âgé de 23 ans, Serge ne deviendra pas enseignant.
L’âge d’or de l’ONF
À l’ONF, raconte Serge, tout le monde se côtoie, se parle, fraternise et partage l’avancement de ses projets. Alain Dostie, alors assistant à la caméra, se lie d’amitié avec Serge. Il lui annoncera un jour que Marcel Carrière, le célèbre preneur de son, se dirige vers la réalisation. Serge saisit alors l’occasion et Marcel Carrière devient son mentor. C’est donc armé de sa Nagra III qu’il ira, aux côtés de Bernard Gosselin alors caméraman, capter les sons de grands documentaires qui ont marqué le cinéma-vérité des années 1960 : Le règne du jour (Pierre Perrault), Les voitures d’eau (Pierre Perrault) ou César et son canot d’écorce (Bernard Gosselin). Serge développe une complicité avec Bernard Gosselin qui lui confiera alors une phrase qui restera importante pour sa carrière : « Un bon caméraman doit être capable d’écouter et un bon preneur de son, de voir ».
Serge travaille également en fiction et cumule les expériences sur une soixantaine de longs métrages, sans compter les téléfilms et les séries télévisées. Un grand moment dans sa carrière est le tournage du film Kamouraska, de Claude Jutra, d’après le roman d’Anne Hébert. L’adaptation cinématographique de cette œuvre importante de la littérature québécoise est une étape importante dans son métier de preneur de son.
1964 ”La corde au cou” Jean-Claude Lord, Pierre Patry (mon premier film)
Les grands défis de sa carrière
Le travail des preneurs de son en est un de modestie et de subtilité. Le preneur de son doit être là, à l’écoute, effacé, attentif, il doit répondre aux contraintes de la mise en scène et du cadre.
Alors qu’il travaille à la prise de son sur le documentaire On est au coton de Denys Arcand, Serge Beauchemin fait face à un défi d’envergure. En effet, l’équipe se heurte à plusieurs interdictions et les techniciens doivent faire preuve de débrouillardise en faisant alors semblant de ne plus rien enregistrer. « Tout est dans l’attitude. Il faut être présent au moment où ça se passe. » À ce sujet, Pierre Perrault disait d’ailleurs à son équipe : « Vous êtes les premiers spectateurs du film » et là où il voyait l’équipe émue, touchée, intéressée, il savait qu’il tenait matière à histoire. Et tourner du documentaire avec Perrault n’était pas toujours de tout repos. Il faut savoir qu’à l’époque, tout se faisait encore sur bande magnétique et pellicule 16mm. Le caméraman disposait de 10 minutes de pellicule à la fois et le preneur de son avait une bobine de 15 minutes. Chaque fois, c’était un dilemme : poursuivre l’enregistrement ou profiter de la pause à l’image pour changer de bobine? Il fallait ne rien manquer et tout enregistrer. La façon de penser le tournage documentaire a ainsi beaucoup évolué à cette époque. Comme on tournait presque sans arrêt, le montage écopait alors d’une grosse responsabilité, dont des heures et des heures de visionnement, souvent avec toute l’équipe.
1967 ”Gros Morne” avec Jacques Giraldeau
En fiction, il retrouve également d’autres embûches et défis à relever. C’est avec nostalgie que Serge se rappelle la caméra emmitouflée dans de grosses couvertures brunes lors du tournage de La guerre des tuques d’André Melançon. Sur ce film, en plus du froid, il fallait gérer l’impétuosité des enfants.
La place du son
Quand on lui demande si la place de l’équipe son sur un tournage est toujours à défendre, Serge Beauchemin affirme que oui. En documentaire, le son exige une attention particulière, on doit bien entendre ce qui est dit, il n’y a pas de répétions, c’est maintenant ou jamais, alors qu’en fiction on peut toujours corriger et refaire la prise. Il faut aussi savoir négocier et prévoir des moments pour enregistrer des ambiances propres pour chaque séquence, sans autres bruits ambiants ni interférences sonores, matériel indispensable au montage sonore.
1966 ”Les voitures d’eau”, Bernard Gosselin, Grand-Louis Harvey, Pierre Perrault
Sa rencontre avec Mélanie
C’est dans les corridors de l’ONF, en 1995, que Serge rencontre Mélanie, alors assistante d’Hélène Girard, monteuse à l’image. Cette dernière lui parle souvent de son chum preneur de son en documentaire, avec des étoiles dans les yeux. Lorsqu’elle numérisait les images et les sons, Mélanie consultait les rapports de son qui en disaient beaucoup et l’aidaient à identifier chaque clip et c’est ainsi qu’elle a appris que de faire des ambiances sonores sur les lieux de tournage était un art. « C’était la première fois que je comprenais que c’était un poste clé dans la production d’un film. Que ça allait au-delà de la technique. Que ça permettait aussi d’aller à la rencontre des gens, de lieux inusités et de voyager. » Alors qu’elle se destinait plutôt au monde de l’image, Mélanie affirme que sa rencontre avec Serge a grandement contribué à la sensibiliser à l’approche sonore d’un film, mais également à lui donner confiance pour se lancer elle-même dans cette aventure. Plus tard, quand il apprendra son projet de sonothèque, Serge lui offrira près d’un millier de sons d’ambiance avec beaucoup d’admiration pour tout ce travail. Mélanie lui en est très reconnaissante. « Toutes ses captations riches et uniques, c’est un legs important pour la librairie. Avec les identifications vocales et les commentaires personnels au début et à la fin de chaque enregistrement, Claude Langlois et moi on a pu identifier chaque fichier en respectant l’émotion du moment et du lieu où Serge se trouvait. Il y a une poésie dans l’art de capter des ambiances sonores et c’est beau. »
1971 René Lévesque
Des projets encore
Malgré la retraite, Serge Beauchemin reste tout près du cinéma. Avec Hélène Girard, sa compagne monteuse et Geoffroy Beauchemin, son fils directeur photo, Serge continue à s’intéresser à notre cinématographie. Il a mis sur pied, avec François Gill, un site sur Facebook, destiné au partage des photos de tournage en mettant en valeur le travail des techniciennes, techniciens et des artisans du cinéma. Serge continue d’aller au cinéma pour voir nos films et surtout les écouter.
1997 « Le Polock » de Robert Ménard
1969 ”L’odyssée du Manhattan”
J’ai été de l’époque de ceux qui, voulant faire du cinéma, en faisait…!
Formé d’abord chez Coopératio et à l’ONF, l’industrie privée me réservait par la suite une place de choix.
J’ai été privilégié, parce que toujours assis (ou plutôt debout…!) aux premières loges des tournages… Quelle chance que de pouvoir intervenir pendant que ça se passe devant l’objectif et le micro!!
J’ai participé aux tournages de 60 longs métrages, 41 téléfilms, 62 films ou vidéos documentaires, et 10 séries télévisées.
J’aimerais bien pratiquer éternellement mon métier de preneur de son pour l’écran, tellement j’adore l’art de mon travail et le climat des plateaux de tournage.. Mais, constatant que le temps et les accidents sonores finiront par avoir raison de l’acuité de mon organe auditif, je veux désormais me consacrer à la transmission de mon bagage aux autres, ainsi qu’à ma passion de jeunesse: la photographie!!
Serge B.